Inde

L’Inde, sans les touristes

INDE – Carnets de voyage de deux filles parties pour cinq mois d’aventures dans ce pays bouleversant. Épisode 2 : premiers pas, loin des circuits touristiques.

Sanchi-balade-velo

Il y a quelques années, je (ici, c’est Elodie qui raconte) m’envolais pour l’Inde en compagnie de Milena, une amie photographeDeux filles en territoire inconnu pendant cinq mois. L’aventure la plus totale. Tout au long de notre parcours, on a raconté, à chaud, nos impressions et nos péripéties sur un blog créé pour l’occasion
Aujourd’hui, j’ai envie de partager ces carnets de voyage ici.
À travers cette série de 10 articles, découvrez l’Inde avec nous. On l’a d’abord détestée, puis elle nous a intrigué. Et après un long apprivoisement, on a appris à l’apprécier. Il m’a fallu du temps pour me remettre de ce voyage, mais aujourd’hui, avec le recul, je peux enfin dire : j’y retournerai.

 

On a fui Delhi. Rapidement. On a pris le train pour Bhopal. Aucun étranger sensé ne songerait à mettre les pieds dans cette ville, ou alors c’est un humanitaire. On voulait s’éloigner de l’Inde touristique. C’est gagné.
Récit des trois premières étapes de notre périple indien.

BHOPAL

  • 1,46 million d’habitants, capitale du Madhya Pradesh, 40% de musulmans

Bhopal-rue

Si le nom de cette ville ne t’est pas inconnu, lecteur, c’est donc que tu as connu la fièvre des années 80… ainsi que la plus grande catastrophe industrielle de l’Histoire. Sa célébrité tragique, Bhopal la doit à l’entreprise américaine Union Carbide, implantée en son centre, qui déversa, le 3 décembre 1984, 40 tonnes de gaz mortel dans ses rues. Bilan : plus de 20 000 morts. Triste destin.

Cette ville du centre de l’Inde a d’autres intérêts. Désertée par les touristes et donc par les professionnels de l’arnaque (seuls les rickshaws continuent gaiement de nous prendre pour deux sombres idiotes occidentales), elle s’avère être un refuge réconfortant après Delhi. Ah les sourires du vieux monsieur intouchable de l’Hôtel Sonali, dont le métier consiste à ouvrir la porte d’entrée, et le Mahonar, notre petite cantine du coin de la rue, où nous sommes passées au statut d’habituées, ce qui nous permet de recevoir nos cocas frais à peine attablées (oui, en Inde, prudence sur l’eau au restaurant). Et Yogesh, l’improbable indien qui a appris à parler français à Djibouti et qui retourne toute la gare pour nous indiquer le bon guichet. C’est à ce moment que l’on réalise que sans baragouiner quelques mots d’hindi, le voyage risque de devenir laborieux.

Bhopal-portraitSeul point noir au tableau, le chaos de la rue, marque de fabrique locale auquel nous allons devoir nous accommoder. Pourtant au milieu de ce vacarme urbain et de ses klaxons typiquement indien, en plein bidonvilles, un havre de paix. Sur deux hectares de verdure, Sambhavna trust, une clinique réservée aux victimes de la catastrophe, leur offre gratuitement les traitements nécessaires, 30 ans après la tragédie. Ce lieu hors du temps où se mêlent malades, bénévoles et scientifiques est bien loin de l’idée que l’on se fait d’un hôpital sordide et froid. Aux murs des dessins colorés, dans les jardins des hordes d’enfants s’attroupent autour de l’appareil photo, on en oublierait presque le drame à l’origine de sa création.

SARITA & SA FAMILLE

Sixième jour en Inde. Toujours rien, pas même un sourire en vue. Avons-nous sans le savoir contracté la lèpre ? Nous envisageons sérieusement de renommer le blog « L’Inde, notre combat ». Mais ça, c’était avant. Avant de rencontrer Sarita. Un peu comme apparue dans la lumière (en réalité via une demande de couchsurfing), elle propose de nous rencontrer dans son foyer à l’heure du thé. Oui parce qu’en Inde, on boit beaucoup de thé (avec du lait, le fameux chai).

Le thé est bon, les gâteaux aussi. Mais ce qui l’est encore plus, ce sont les heures passées dans le petit appartement de cette famille brahmane de classe moyenne, à discuter de notre voyage, de la corruption du pays, du cricket, des mariages, de la vie, tout ça tout ça.

Bhopal-Sarita-et-son-filsDans la pièce principale, une table et quelques chaises. La décoration est sommaire : l’effigie de Shiva partage l’espace avec un petit cadre kitch (indian style)  glorifiant Jésus (cocasse). Au mur, une vieille photo de famille, datant probablement d’après les costumes de l’époque coloniale. L’étroite cuisine au fond reste le sanctuaire de la maîtresse de maison. Au fond, une dernière pièce, la chambre de toute la famille. Le lit est réservé à Sarita et son fils, Manoj, lui, se contente du sol. Une petite télévision et un ordinateur.  Rien de superficiel, rien d’inutile.

Elle surprend par son dynamisme et son énergie. Professeure d’anglais et de français de base, elle assure des cours à quelques élèves qui viennent lui rendre visite, tout en nous faisant la discussion la tête dans ses marmites, pour un repas qu’ils ne partageront pas avec nous. 
Lui est gérant d’hôtel. Sérieux et distant au premier abord, ce papa moustachu troque rapidement son costard contre un sweat du dimanche. Plein d’humour, loin de se prendre au sérieux et heureux de nous faire découvrir sa culture. 
Duboy, leur fils, a 14 ans. Quelques gâteaux apéros partagés et on se check du poing. On parle TGV et cricket, on lance quelques balles (beaucoup perdues, nous ne ferons pas carrière), on organise des battles sur l’Iphone. C’est chouette !

Après cette journée pendant laquelle on s’est quand même bien marrées, on rentre avec plein de cadeaux, un peu comme si c’était Noël (lecteur ne te méprends pas, nous ne sommes pas vénales). Nous avons remis en question nos préjugés sur la mentalité indienne et nous avons retrouvé foi dans le peuple indien.

SANCHI

  • 6 790 habitants, Madhya Pradesh, Stupas classées au Patrimoine mondial de l’Unesco 

Sanchi-stupa

Le calme après la tempête. Avec ce petit village à une cinquantaine de kilomètres au nord de Bhopal, nous découvrons les joies paisibles de la campagne indienne, sa faune abondante. Nos premiers singes. Merveilleuse rencontre, surtout lors de notre sortie matinale pendant laquelle, un primate bien assis dans ses branches s’est largement soulagé, sans crier gare, alors que nous passions en dessous. C’est autre chose que nos subtiles et délicates fientes de pigeons parisiens. Quand on vit quelque chose comme ça, on sent l’âme de la jungle s’exprimer sous nos yeux. Un grand moment.

Ah et si vous cherchez un rouleau de papier toilette (nous sommes en Inde, cette commodité n’est présente que dans les lieux touristiques, ici, ils s’essuient avec la main gauche), vous le trouverez à la pâtisserie. D’une logique implacable.

Dans ces petits villages, les coupures de courant étant fréquentes, il est habituel de passer une soirée éclairée à la lampe à huile, sur la terrasse d’une petite guest house. Les adresses sont sans chichi et excellentes, nous avons d’ailleurs jeté notre dévolu sur une guitoune sans prétention, dans laquelle nous avons pu savourer notre premier repas complet à moins d’un euro (60 roupies).
Quant aux pâtisseries locales, « yummy yummy » comme disent nos amis anglo-saxons! Le Gulab Jamun par exemple, une fois l’aspect spongieux oublié, un délice sucré (pour des raisons pratiques, nous avons d’ailleurs décidé de la rebaptiser « l’éponge »).

Et puis, il y a les stupas bouddhiques qui font toute la réputation de Sanchi. Inscrites au Patrimoine mondial de l’Unesco, elles sont devenues une attraction un peu touristique. Petites collines de pierres du IIIe siècle av. J.-C. retraçant l’histoire de Bouddha, elles enferment des reliques religieuses sur lesquelles les moines viennent se recueillir. Les Indiens eux-mêmes se déplacent pour les voir. Ce qu’ils préfèrent dans la visite ? Les jeunes et pâles touristes occidentales. Débute la chasse aux photos : première demande, vous acceptez flattée ; troisième demande, vous jouez le jeu ; à la huitième, fuyez ! Une question persiste : quelle utilité peut-il bien y avoir à prendre ce genre de photos ? Nous évitons d’y penser.

Mis à part l’exploitation visuelle de nos personnes, Sanchi est une ville somme toute sympathique dont nous regretterons bientôt la tranquillité.

 

CHITRAKOOT

  • 22 294 habitants, Uttar Pradesh 

Chitrakoot-campagne-ghat

Un cours d’eau sacré, des dizaines de ghats, une multitude de fidèles se purifiant de leurs péchés… L’image parfaite de l’Inde spirituelle. Bénarès ou Allahabad ? Non, Chitrakoot. Inconnue des touristes, cette petite bourgade de l’Uttar Pradesh, surnommée non sans raison « le mini-Varanasi », est parfaite pour une totale immersion dans le pays. Personne (ou presque) ne parle anglais, les voyageurs blancs se comptent sur les doigts d’une main et pas une seule connexion internet (on a cherché longtemps).

Sur les rives de la Mandakini (Ram Ghat), les nombreux vendeurs installés dans leur petite guitoune proposent tous la même chose (bijoux, pigments ou noix de coco) : sacrée concurrence ! Sur l’eau, c’est un peu le même problème, les bateaux qui offrent une traversée ou une balade s’entassent. A bord, ça fume, ça écoute la musique à fond et ça apprivoise les lapins (oui la pratique est étrange mais apparemment courante).

Quand il ne travaille pas, l’autochtone a le choix : se laver (ou faire sa lessive) dans la rivière (à peu près aussi propre que nos égouts) ou mendier. Dans ce dernier cas, tous les moyens sont bons pour apitoyer les proies : vous avez une protubérance ou une quelconque déformation sur le corps ? Parfait, n’hésitez pas à l’exhiber, vous gagnerez quelques roupies de plus que votre voisin. Là aussi, la concurrence fait rage.

Chitrakoot-colline-de-KamagkiriMais la ville ne se résume pas à son cours d’eau sacré. Plusieurs dieux de la mythologie hindou (Brahma, Vishnu, Shiva, Rama) auraient laissé leurs traces ici. Notamment autour de la petite colline de Kamagkiri, le repère de centaines de singes facétieux et… affamés. Certains pèlerins s’amusent d’ailleurs à leur distribuer riz soufflé et carottes. Offrandes qui bien sûr déclenchent de violentes disputes entre les primates. Une pratique complétement idiote, soit dit en passant.

Comme toute bourgade sacrée, Chitrakoot attire son lot de saltimbanques. Allemands ou italiens, notamment, des occidentaux complètement perchés qui pensent tout savoir de l’Inde, son peuple et sa spiritualité. Insupportables ces gens-là. Quand vous croisez un européen bien terre à terre, méfiez vous aussi. Surtout si il est italien, a la cinquantaine et s’appelle Fausto. Gentil au premier abord, cet individu, pourtant en Inde pour la septième fois, ne sait absolument pas se débrouiller tout seul. Vous croyez pouvoir apprendre de lui ? C’est lui qui profite de vous. Et en bon méditerranéen, il ose vous donner des leçons. Très désagréable.

Ami lecteur, ne te fie pas au ton moqueur de cet article, Chitrakoot reste avant tout une destination authentique, loin des spots touristiques. Quelques jours que nous avons appréciés et qui nous ont permis de gommer (en partie) cette image de porte-monnaie ambulant qui nous collait à la peau. Ça fait plaisir.

  À suivre…

Lire l’épisode précédent : Bienvenue en Inde.

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