CHILI – On l’imaginait gentille cité balnéaire, proprette et colorée. Ville-musée paisible et touristique. Erreur ! Valpo est vivante, populaire, foutraque, charmante. Et militante, jusqu’au moindre recoin de ses murs bariolés. Après tout : il vaut mieux être belle et rebelle que moche et re-moche.
Difficile d’imaginer qu’une telle ville puisse exister. Une ville-amphithéatre, qui s’étale sur une quarantaine de collines (cerros), face à l’océan Pacifique. Une ville où l’art est maître de la rue, où les proprios paient des graffeurs pour taguer leurs murs. Une ville bariolée de couleurs, musée à ciel ouvert d’un genre inédit.
Pourtant la cité a souffert au siècle dernier de sa mauvaise réputation. Valparaiso la misérable, Valparaiso la dangereuse. La cité portuaire autrefois « perle du Pacifique » est délaissée par les Santiaguinos en goguette pour sa voisine plus clinquante Viña del Mar (lire notre encadre ci-dessous). Encore aujourd’hui, les Chiliens vous mettent en garde : « Découvrir la ville oui, mais rester vigilant, ne pas s’égarer. » Certains piétons se feraient de temps en temps dépouiller. On n’a, nous, jamais ressenti le moindre danger. Peut être a-t-on été suffisamment vigilant. Quoi qu’il en soit, cette mise en garde ne peut suffire à vous faire éviter Valparaiso. Valparaiso est incontournable.
Au début du XVIe siècle, comme le reste de l’Amérique latine, ce petit village de pêcheur indigène ne résiste pas à la conquête espagnole. Entre 1536 et 1541, la dite Valparaiso devient officiellement le port de Santiago. Après un siècle de domination de pirates et corsaires anglais, la cité se développe et prend de importance. À la fin du XVIIIe siècle, Valparaiso compte une population considérable et assoit sa position stratégique.
La ville est le passage obligé de la route maritime entre l’Europe et les richesses du Pérou, entre l’Atlantique et la côte Pacifique. Anglais, Allemands, Français et Italiens s’installent dans la ville portuaire et prennent les rênes du commerce d’importation. Une influence européenne qui laisse des traces dans le coeur de la cité, véritable joyau architectural, avec ses monuments nationaux et ses façades rustiques colorées.
En 1914 s’ouvre le canal de Panama. Et tout s’écroule. Le déclin s’enclenche…
Aujourd’hui, les beaux bâtiments sont en décrépitude. Le port n’est plus que l’ombre ce qu’il était et l’industrie a été aspirée par Santiago, à seulement une heure et demie de route. Le taux de chômage dans la ville est le double du niveau national. Les plus optimistes veulent croirent aujourd’hui en une économie de patrimoine (le centre est classé au Patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco depuis 2003) et mise tout ou presque sur le tourisme.
Découvrir la cité n’est pas de tout repos. Il faut marcher, grimper, descendre, encore et encore. Pas facile de savoir par ou commencer. Le coeur de ville, c’est le plat, là où se concentrent les monuments et les commerces. Il faut le quitter, s’attaquer à la partie haute, entremêlée de petites ruelles escarpées et d’escaliers sans fin.
Car c’est aussi ça Valpo : une architecture rocambolesque à flanc de collines. Pour relier l’océan aux magnifiques villas ou aux plus pauvres bâtisses construites sur les hauteurs, c’est tout un système d’escaliers qui s’est mis en place. Des centaines et des centaines de marches parfois empruntées plusieurs fois par jour par les travailleurs. À partir de la fin du XIXe siècles, d’autres stratagèmes ont été installés. Jusqu’à une trentaine des célèbres funiculaires, appelés ascensores, ont fonctionné. Il en reste une grosse dizaine en état de marche aujourd’hui. Une campagne de réhabilitation est en cours pour d’autres.
Comment visiter la ville ?
- Tours 4 tips. On ne peut pas les louper. Avec leur t-shirt rayé rouge et blanc, on croirait avoir retrouvé Charlie ! Les guides « Wallys » de ce collectif de jeunes, bilingues et drôles, amènent les visiteurs (assez nombreux, le seul défaut) dans une balade de trois heures dans les ruelles de Valpo (rendez-vous à 15 heures sur la plaza Sotomayor). Dense, interactif et instructif. Le temps de découvrir l’histoire de ce coeur de ville classé, le pain préféré des Porteños, les fresques murales les plus étonnantes et autres anecdotes croustillantes sur la ville. On ne s’ennuie pas et le tour n’a rien de commun. On repart même avec quelques bonnes adresses pour manger vraiment local ou boire un coup. Pourboire largement mérité surtout qu’un verre est gentiment offert à la fin de la visite. Il n’y a pas forcément besoin de réserver sur internet (petite parenthèse : on a vu beaucoup de gens qui s’esquivaient discrètement à la fin pour éviter de lâcher le pourboire… Des gens qui n’ont même pas le profil voyageurs fauchés. C’est moche.).
- Valpo street art tour. Le premier tour nous a appris pas mal de choses sur l’art de rue à Valparaiso, mais pour en savoir vraiment plus, c’est cette visite qu’il faut faire. Beaucoup plus intimiste (on était sept), et emmené par un passionné, cette visite est incontournable pour les amateurs d’art et pour décrypter les différences entre tags, graffitis ou encore fresques murales. Pour connaître le sens de cette contestation sociale qui s’exprime partout, à la verticale et en couleurs. Ce sont nos deux amis écossais Will et Kirsty (toujours eux !), que l’on a retrouvé en ville la veille, qui nous font connaître ce collectif. Et on ne regrette pas d’avoir suivi : ceux qui n’y connaissent rien en apprennent beaucoup et regardent avec un nouvel oeil ces peintures. Parfait pour ne pas passer à côté des plus belles oeuvres de la ville et s’attarder sur des détails d’importance. Pourboire également mérité.
Bon et tant que vous êtes là, n’oubliez pas de grimper jusqu’à la maison de Pablo Neruda. L’écrivain s’était offert l’une des plus belles vue de la ville dans le cerro Florida. Un petit coin de paradis à l’abri du tumulte de Santiago. La Sebastiana, sa bienommée villa, est aujourd’hui un musée qui se visite. Entrée : 4000 pesos, soit 5,30 euros.
On a séjourné trois nuits au Lemuria hostel, dans une chambre double. Si le tarif de la nuit reste correct comparé à d’autres hébergements, on ne vous recommande pas pour autant celui-là… Très bruyant, pas forcément très propre, assez lugubre… bref pas génial. En revanche, on a eu l’occasion d’aller boire un verre dans l’auberge de jeunesse occupé par Will et Kirsty : l’ambiance – et la terrasse – est vraiment sympa. Pour les chambres, c’est du dortoir et pas forcément très grand mais les parties communes sont conviviales, colorées et accueillantes. Une adresse backpacker à retenir : Hostal Po, Urriola 379.
OÙ BOIRE UN VERRE ?
C’est une adresse on ne peut plus locale. Une institution, le « plus vieux bar du port », ouvert depuis 1897. Et en plus, le Bar Liberty installé dans un des angles de la plaza Echaurren a une jolie histoire. Un jour, un client inattentif oublia son chapeau. Le patron, en attendant le retour de l’étourdi le suspendit dans le bar… où il est toujours aujourd’hui entouré de centaines autres couvre-chefs, laissés cette fois volontairement par leurs propriétaires, au fil des décennies. Mis à part cette décoration atypique, le bar restaurant propose des al muerzo bon marché avec cuisine locale.
COMMENT VENIR ?
Depuis Santiago, rien de plus simple. Il y a des départs de bus tous les quarts d’heure, dans différents endroits de la ville. Vous pouvez vous rendre à la gare des bus du métro Pajaritos (ligne 1), prendre votre billet (pas besoin de réserver) et attendre le prochain bus qui mettra 1 h 30 pour relier Valparaiso. Avec la compagnie Pullman, c’est 3500 pesos, 4,40 euros l’aller.